STALAG 1B- Août 1940
Texte retrouvé dans un Cahier de Technologie "Ecole d'Arts et Métiers Erquelinnes (1934 1937)"
Rabat, le 7 janvier 1942.
J'ai chanté bien des fois en poèmes épiques,
Les héros, leurs combats, les luttes fantastiques,
Que soutinrent jadis nos pères dans les temps,
Et dont le souvenir sera gardé longtemps,
Ecoute cette fois le récit que l'histoire,
Gravera pour toujours, éternelle mémoire,
Dans tous les esprits et dans tous les coeurs Français,
Car c'était triste, triste,... tu en pleurerais,
Crois-tu ? Si tu voyais la lamentable image,
De la France envahie, écrasée par l'orage.
L'ennemi violait et l'honneur et le droit.
La France se leva et comme elle le doit
Voulu sauver son sol au delà des frontières,
La Hollande et la Belgique, libres et fières,
Ont refusé le joug d'un ennemi certain,
En défendant leur sol, les armes à la main.
De France, les soldats en colonnes joyeuses,
Avancaient. Mais cachée comme une gueuse,
L'infâme trahison les guettait pas à pas.
Et la retraite alors sonnant comme le glas,
Haves, épuisés, livides, les yeux mornes,
Les soldats reculaient sentant qu'à chaque borne,
L'ennemi avancait et gagnait du terrain.
Les chefs eux se taisaient et sous leur front d'airain,
L'on pouvait deviner de confuses batailles :
Il fallait reculer et subir la mitraille,
De tous côtés enfin on se sentait trahis,
Arrière comme avant, partout des ennemis !
Et d'autres cependant offraient leur sacrifice;
Dieu avait décidé pour eux, l'heure propice,
En des champs inconnus, au milieu du combat,
Ils sont tombés sans nom, et même sans un grabat.
Ils n'eurent pas le temps, ni la douleur sans doute,
De savoir et la France et l'armée en déroute,
Ils sont morts sans reproche et leur sang glorieux,
Fera lever pourtant des jours victorieux,
Aucun sacrifice, je crois, n'est inutile,
Car ils n'ont pas voulu la soumission servile,
De leurs femmes ni de leurs enfants, qui là-bas,
Hélas, au foyer désormais, ne les reverront pas.
D'autres gisaient, souffrant sous des voutes d'églises,
Les regards perdus, ils voulaient qu'on leur dise
Une dernière fois le nom de leur maman,
Car, ce seul mot encore, les rendait souriants,
Leur sang coulait partout, l'odeur était fétide,
La fièvre montait, leur langue était avide
D'une goutte d'eau fraiche et d'une bouffée d'air,
Des blessures béantes frémissait la chair,
Et dans les yeux des uns, une angoisse mortelle,
vous laissait entrevoir des lueurs éternelles,
O Dieu qui vous penchez sur tout être souffrant,
Donnez leur tout au moins de mourir doucement,
Car ils n'en peuvent mais, dans cette tuerie,
Donnez leur, et la joie et la paix infinie.
Les troupes reculaient pendant tout ce temps là,
Et d'un seul coup, alors notre front s'écroula.
L'on pouvait contempler le long des longues routes,
La débâcle sans nom d'une armée en déroute.
L'ennemi, harcelant, ne cessait d'avancer,
Et l'on ne comptait plus les soldats prisonniers.
Car beaucoup furent pris sans pouvoir se défendre,
Et aujourd'hui encore, ils cherchent à comprendre.
Ils se disaient souvent : "Où sont nos avions ?".
Les nôtres sont absents comme ceux d'Albion.
La réponse aussitôt leur arrivait brutale,
Les avions allemands mitraillaient en rafale,
On entendait soudain des sifflements stridents
Et les bombes tombaient en un bruit éclatant.
Marchant péniblement en de longues colonnes,
Les soldats prisonniers, loin du canon qui tonne,
Allaient la rage au coeur vers leur nouveau destin,
A travers les forêts sur les routes sans fin.
Le soleil inclément leur desséchait la langue,
Et leurs yeux étaient noires sur leurs faces exsangues,
Epuisés, se trainant, tout en mourant de faim,
On soupçonnait en eux la peur du lendemain.
Puis comme du bétail, dedans des wagons sombres,
Ils furent entassés sans air, toujours dans l'ombre.
Ils roulèrent ainsi et trois jours et trois nuits,
Rêvant au pays natal dont l'horizon s'enfuit,
Ils arrivent enfin dans une grande plaine,
C'est là qu'ils restèrent, ô pauvre loi humaine,
Enfermés par milliers entre des barbelés,
Leurs regards ne touchant que des cieux limités.
Dans le brillant soleil au dessus de leurs têtes,
Des cigognes parfois en des lignes parfaites,
Evoluent librement, ô suprême leçon,
Y a t il des frontières à l'horizon ?
Dans les murs les plus lourds la prison la plus ferme,
Ce n'est pas là-dedans qu'un coeur d'homme s'enferme,
Leur âme est libre encore et elle vit d'espoir,
Mère, femme enfants, ils veulent tout revoir,
Car le jour, tôt ou tard de cette délivrance,
Se lèvera bien sûr, ils en ont l'espérance,
Ils reverront bientôt Paris et ses plaisirs,
Les Nord et ses murs noirs, la côte et ses loisirs,
Les plaines de l'Alsace et le vin de Champagne,
Le soleil du midi et toutes les campagnes,
Qui s'étendent au loin autour de leurs maisons,
Où l'on dit chaque jour :"Bientôt, ils reviendront".
Mais ce jour là, plus grands, plus forts par l'expérience,
Ils penseront souvent à toutes leurs souffrances,
Le courage éprouvé, le regard plus certain,
C'est eux qui construiront la France de demain.
Fait au Stalag 1B - Août 1940.
Article Précédent Page d'Accueil Article Suivant
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 2 autres membres